Classement : confusionnisme post-bourdieusiste
Il est de bon ton chez les sociologues main stream de l'éducation (qui sont des post-bourdieusistes) de
parler avec mépris ou dérision ou condescendance de ce qu’ils appellent « l’idéologie du don »,
le fait que dans nombre de familles la réussite scolaire de tel ou tel enfant était attribuée à un « don »
personnel nécessaire à cette réussite.
Pour eux, c’est une idéologie car la vérité scientifique
est qu’on réussit à l’école en fonction de ses origines sociales.
Il me semble que cette idée d'« idéologie du don »
n’est pas adéquate. Il est évident qu’au niveau macro-social, on ne peut pas expliquer la réussite scolaire par des « dons », mais cette notion
n’était pas utilisée au niveau macro-social, elle l’était à un niveau beaucoup moins élevé, au cours de conversations familiales ou amicales sans prétention intellectuelle : celui des familles (notamment populaires) où, parfois, il fallait bien constater que parmi les membres d’une phratrie, un ou plusieurs réussissaient à
l’école (primaire, en premier lieu), tandis que d’autres étaient nettement en
retrait.
Je pourrais citer en exemple d’une famille bien connue de
moi, où les parents étaient cheminots au niveau le plus bas (manœuvre et
garde-barrière) : sur leurs trois enfants, une fille (seconde de la phratrie) a réussi, par le biais de la bourse de 6ème, de l’Ecole primaire supérieure de Savenay, puis de la bourse d’Ecole
normale, à passer le baccalauréat et à devenir institutrice, alors que son
frère (l’aîné) et sa sœur se sont contentés du CEP et de carrières d’ouvrier et d'ouvrière.
Ce fait, qui n’est pas isolé (on peut aussi citer, dans la
littérature, le cas de Julien Sorel, l’intellectuel, le mouton noir de sa
famille d’entrepreneurs du bois), est difficile à expliquer d’un point de vue
macro-social, les conditions socio-économiques familiales n’ayant pas changé
dans les quinze années (de l'entre-deux-guerres) où s'est déroulé le cursus scolaire de base de ces trois enfants.
Bien entendu, on peut supposer qu’il existe des explications
relevant de l’histoire familiale, de l’histoire personnelle (rencontre d'un maître...), etc. Mais il est
difficile de les établir rétrospectivement ; c’est pourquoi les familles
et leurs proches tombaient d’accord pour dire « Elle est douée pour l’école,
et les autres non ! ».
La notion de « don » n’est donc pas, à mon avis,
une « idéologie », mais l’explication trop simple d’un fait bien
réel, particulièrement visible à une époque où tout le monde ne faisait pas d’études
secondaires, et qui n’a sans doute pas complètement disparu.
Du reste, la dénonciation rituelle de « l’idéologie du don »
n’a aucun effet réel (notamment parce que les membres des familles populaires
ne lisent pas, en général, d’articles de sociologie de l’éducation) : mais elle permet aux sociologues qui l’utilisent au détour d’un texte plus ou moins
polémique de faire l’impasse sur les conditions réelles de la réussite
scolaire, pour promouvoir une théorie qui n'est pas totalement adéquate.
Le « don » n’est pas une notion suffisante pour faire avancer les choses, mais celle d’« idéologie du don » est encore plus inutile, elle ne fait que masquer l'ignorance et l’impuissance de ceux qui s’y réfèrent, elle ne fait que révéler leur lamentable suffisance intellectuelle.
Ajout
Si on peut reprocher quelque chose à la notion de « don » en matière scolaire, c'est qu'elle induit, ou au moins est le résultat, d'une résignation vis-à-vis du système scolaire. Lorsqu'on invoque le don de tel enfant, on admet implicitement qu'on n'y pouvait rien, etc. Cette idée est évidemment fausse, mais il n'est pas facile d'en tirer les conséquences, surtout après coup. Elle jouait fortement dans les campagnes de Loire-Atlantique dans les années 1950 : au Gâvre, les enfants des familles de paysans, encore assez nombreux, et leurs parents, n'envisageaient pas d'études secondaires (en 1960-1961 encore) ; leur horizon d'attente était le CEP. Il fallait donc être particulièrement « doué » pour surmonter cette résignation familiale.
Pour autant que je sache, il n'en allait pas de même dans un département pas très lointain, le Finistère, où l'accès aux études secondaires n'était pas considéré comme une grâce divine (et encore moins « bourdivine »). Ce qui explique par exemple qu'un village banal (Plozévet) ait pu fournir un nombre assez élevé de diplômés de l'enseignement supérieur...
Il est évident que la généralisation de l'accès à l'enseignement secondaire à partir des années 1960 a eu un effet concret très important : à l'heure actuelle, l'horizon d'attente de toutes les familles est bien au-dessus du niveau primaire.
Ajout (18 octobre 2018) : don et mérite
Le refus de la notion de don s'accompagne dans la mouvance bourdieusienne du refus de la notion de mérite. Curieusement, on ne peut pas bénéficier de la grâce, mais on ne peut pas non plus obtenir le salut (la réussite scolaire) par les œuvres.
Certains problèmes de l'idéologie bourdieusienne (c'est-à-dire tout ce qui dans les écrits de Bourdieu, et encore plus dans ceux de ses disciples, outrepasse l'observation scientifique et devient de l'idéologie) sont à mon avis correctement pointés par Jean-Claude Michéa (notamment dans Le Complexe d'Orphée).
Le « don » n’est pas une notion suffisante pour faire avancer les choses, mais celle d’« idéologie du don » est encore plus inutile, elle ne fait que masquer l'ignorance et l’impuissance de ceux qui s’y réfèrent, elle ne fait que révéler leur lamentable suffisance intellectuelle.
Ajout
Si on peut reprocher quelque chose à la notion de « don » en matière scolaire, c'est qu'elle induit, ou au moins est le résultat, d'une résignation vis-à-vis du système scolaire. Lorsqu'on invoque le don de tel enfant, on admet implicitement qu'on n'y pouvait rien, etc. Cette idée est évidemment fausse, mais il n'est pas facile d'en tirer les conséquences, surtout après coup. Elle jouait fortement dans les campagnes de Loire-Atlantique dans les années 1950 : au Gâvre, les enfants des familles de paysans, encore assez nombreux, et leurs parents, n'envisageaient pas d'études secondaires (en 1960-1961 encore) ; leur horizon d'attente était le CEP. Il fallait donc être particulièrement « doué » pour surmonter cette résignation familiale.
Pour autant que je sache, il n'en allait pas de même dans un département pas très lointain, le Finistère, où l'accès aux études secondaires n'était pas considéré comme une grâce divine (et encore moins « bourdivine »). Ce qui explique par exemple qu'un village banal (Plozévet) ait pu fournir un nombre assez élevé de diplômés de l'enseignement supérieur...
Il est évident que la généralisation de l'accès à l'enseignement secondaire à partir des années 1960 a eu un effet concret très important : à l'heure actuelle, l'horizon d'attente de toutes les familles est bien au-dessus du niveau primaire.
Ajout (18 octobre 2018) : don et mérite
Le refus de la notion de don s'accompagne dans la mouvance bourdieusienne du refus de la notion de mérite. Curieusement, on ne peut pas bénéficier de la grâce, mais on ne peut pas non plus obtenir le salut (la réussite scolaire) par les œuvres.
Certains problèmes de l'idéologie bourdieusienne (c'est-à-dire tout ce qui dans les écrits de Bourdieu, et encore plus dans ceux de ses disciples, outrepasse l'observation scientifique et devient de l'idéologie) sont à mon avis correctement pointés par Jean-Claude Michéa (notamment dans Le Complexe d'Orphée).
Création : 2 novembre 2017
Mise à jour : 18 octobre 2018
Révision : 18 octobre 2018
Révision : 18 octobre 2018
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 22. L'idéologie du don
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/11/lideologie-du-don.html
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