samedi 15 septembre 2018

45. Sophie Rabau 2. Le viol de Carmen : l'article de Rabau

Sur un développement de Sophie Rabau à propos de Carmen de Prosper Mérimée


Classement : littérature grecque ; féminisme 




Ceci est une suite de la pagLe cas Sophie Rabau : Ulysse et les sophismes de Sophie, dans lequel j'étudie une question posée par Mme Rabau : Ulysse n'aurait-il pas violé Nausicaa au chant VI de l'Odyssée ?
Je m'intéresse maintenant le coeur de son article : Carmen n'aurait-elle pas été violée, elle aussi (à moins que ce ne soit Carmen).

Référence
*Sophie Rabau, « Des blancs qui en disent long », Le Nouveau Magazine Littéraire, n° 2, février 2018, pages 30-31

L’auteur
Il est présenté par le magazine comme « enseignante-chercheuse à l’université Paris-III » et auteur des ouvrages suivants : « B. comme Homère, L’Invention de Victor B., et tout récemment Carmen pour changer » (Victor B. = Victor Bérard).
Sur le site de l’université Paris-3 (lien), on apprend qu’il est « directeur de recherche en littérature comparée ». Ses « domaines de recherche » sont définis comme suit: « Théorie littéraire et littérature antique gréco-latin[e], en particulier théorie de l'interprétation et de la philologie classique, théorie des textes possibles et critique créative, intertextualité. Poétique du récit. »

Présentation de l’article
Dans cet article, Rabau prétend découvrir que nombre d’héroïnes célèbres de la littérature ont subi un viol, occulté par l’auteur, mais détectables grâce à des indices ténus. Elle conclut en lançant un nouveau hashtag #balancetonporcdanslafiction, qui est, je l’espère, d’un trait d’humour ; mais le reste de l’article semble tout à fait sérieux (ou alors elle cache bien son jeu).
Pour sa démonstration, elle s’appuie principalement sur Carmen de Prosper Mérimée, qu’elle analyse assez longuement : selon elle, le texte de Mérimée révèle (négativement) que Carmen a certainement été violée par don José.

Texte 1 : la démonstration par Rabau du viol de Carmen
En gras : les passages particulièrement intéressants
« C’est entendu, « Carmen sera toujours libre (1) ». Tellement libre qu’elle préfère mourir, tuée par don José, son amant, plutôt que renoncer à sa liberté chérie. Des esprits chagrins pourraient faire remarquer qu’il est des manières plus heureuses et surtout plus… libres d’être libre. Cette mort est fatale, tragique, inévitable. Carmen se soumet au destin, auquel elle ne peut échapper. Etrange liberté, mais c’est là toute la tragédie de Carmen : pour rester libre, elle doit mourir, elle n’a pas le choix.
Elle n’a pas le choix ? Je le croyais, moi aussi, jusqu’à tomber sur un curieux passage de la nouvelle de Mérimée, un de ces moments que l’on passe un peu vite pour arriver à la grande scène finale : don José, le poignard, la mort. Carmen, à ce point du récit, est pour le coup vraiment libre : elle s’est libéré de son mari, Garcia dit le Borgne (Carmen est mariée chez Mérimée, mais passons), tué par José sur son insistante suggestion : elle est amoureuse d’un autre, un picador nommé Lucas, et envisage de se libérer un peu plus en réglant son compte à José, devenu encombrant. En attendant elle part aux courses de taureaux. Mais voici qu’à Cordoue Lucas est victime d’un accident de corrida – on ne sait pas s’il vivra.
UN CURIEUX REVIREMENT  
A partir de là, tout devient étrange, si l’on s’en tient au récit de José (chez Mérimée c’est José qui raconte à un autre homme l’histoire de la libre Carmen, mais passons de nouveau). Carmen se rend dans une maison que José connaît – drôle de manière d’échapper à un amant jaloux et violent que de se rendre là où il peut vous trouver. Alors sans que je parvienne à me l’expliquer et sans que Mérimée se soucie de justifier ce curieux revirement, Carmen accepte de suivre José avec une docilité dont elle n’est pas exactement coutumière : « Vers deux heures du matin, Carmen revint, et fut un peu surprise de me voir. – Viens avec moi, lui dis-je. –Eh bien ! dit-elle, partons ! – J’allai prendre mon cheval, je la mis en croupe, et nous marchâmes tout le reste de la nuit sans nous dire un seul mot. »
La rebelle suit José sans un mot sur son cheval ; un peu plus bas, la bohémienne éprise de liberté ne fuit pas quand José lui en donne l’occasion ; la menteuse, « qui a toujours menti », dit José, ne veut pas, dit-elle, « se donner la peine de faire quelque mensonge ». Carmen la joue déprimée : « A présent, je n’aime plus rien, et je me hais pour t’avoir aimé. » Dont acte : Carmen, qui la veille assistait toute joyeuse à une course de taureaux, n’aime plus personne.
Pour tout dire, ce changement d’humeur de Carmen est sûrement l’un des plus mal motivés de la littérature mondiale. Pourquoi ne part-elle pas ? Parce que, dit José, « elle ne voulait pas que l’on pût dire que je lui avais fait peur ». Mais depuis quand José fait-il peur à Carmen ? Et d’ailleurs quel est ce « on » ? Qui donc pourrait dire que Carmen a eu peur ? Aucun témoin n’assiste à la scène. Pourquoi ne ment-elle pas ? Car elle ne veut pas s’en donner la peine. Mais depuis quand Carmen a-t-elle de la peine à mentir ? Mérimée met tout de suite une nouvelle raison dans la bouche de son héroïne : « Comme mon rom, tu as le droit de tuer ta romi. » Certes, mais la romi en question a envisagé, quelques jours plus tôt, de faire tuer son rom. Tout cela ne va pas très bien. Il se pourrait même que tout cela aille assez mal.
A ma connaissance, il est un seul cas où une femme, si libre et vivante soit-elle, peut tout à coup renoncer à se défendre et se laisser maltraiter ou tuer passivement. Au début du XXI° siècle, Virginie Despentes, une femme elle-même assez libre, a raconté le viol dont elle a été victime (2). Elle évoque le couteau juste à portée de main : un tout petit geste, et elle tue celui qui est en train de la violer, mais rien, c’est l’effet du viol, aucune réaction, impossible de se soustraire, de contrer l’agression, une impuissance absolue, l’impression que cela devait arriver (tu vas me tuer, c’est le destin), une absence à soi-même (« je n’aime plus rien »). C’est la même histoire dans Carmen, la fuite à portée de main, et rien… Si ce n’est que, dans Carmen, c’est le violeur qui raconte l’histoire et qu’il ne va sans doute pas donner cette explication-là. Il est temps de dire haut et fort ce qui s’est passé entre le moment où Carmen amoureuse et flamboyante quitte les arènes et celui où elle suit José sans protester. Il est temps de sortir hors du blanc narratif où l’a enfoui Mérimée ce récit absent qui rend tout tristement cohérent : Carmen a été violée.
(1) Carmen (1847), Prosper Mérimée, éditions Flammarion, 1973
(2) King Kong Théorie, Virginie Despentes, éditions Grasset, 2006 »

Analyse
A venir



Création : 15 septembre 2018
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 45. Sophie Rabau 2. Le viol de Carmen
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2018/09/sophie-rabau-2-le-viol-de-carmen.html








dimanche 2 septembre 2018

44. A propos de la garantie des dépôts bancaires

A propos d’une conception défaitiste et inepte de cette garantie




Classement : économie






Référence
*Site Droit-Finances, « La garantie des dépôts bancaires en cas de faillite », 2 septembre 2018 (lien)

La page explique les modalités de la garantie des dépôts à hauteur de 100 000 euros et se termine par deux paragraphes très intéressants :

Texte
« Cette procédure n'est pourtant qu'hypothétique. Elle repose en effet sur l'intervention du Fonds garantie des dépôts censé garantir les comptes des clients. Or, le montant actuel du Fonds de garantie des dépôts est aujourd'hui fixé à environ 2 milliards d'euros. Un montant très insuffisant en cas de crise financière généralisée.
En théorie, cette garantie de 100 000 euros ne concernerait en effet que 2 000 000 000 / 100 000 = 20 000 clients. Un nombre bien loin des millions de déposants français dont le montant total des dépôts avoisinerait les 2 000 milliards d'euros. »

Commentaire
Les auteurs de cette page ont une conception curieuse de l’économie : pour eux, il faudrait, en cas de crise généralisée, que le Fonds de garantie dispose de 2 000 milliards d'euros, pour faire face à toutes les demandes de remboursements.
Il ne leur vient pas à l’esprit de se poser une simple question : sous quelle forme auraient lieu ces remboursements ?
Deux possibilités :
a) par chèque ou virement bancaire, auquel cas l’argent se retrouverait sur un dépôt (c'est-à-dire la même situation qu’avant le remboursement) ;
b) en billets de banque, mais dans ce cas qu’est-ce les heureux déposants feraient de ces 2 000 milliards en liquide ? Les cacher dans un matelas en attendant que l’inflation en détruise peu à peu la valeur (ou que surviennent de pires avanies : incendie, cambriolage, etc.) ? Faire des achats à tout va, ce qui ne manquerait pas de lancer l’inflation ! Les exfiltrer vers un paradis fiscal pour profiter d’une législation business-friendly ? Je suppose qu’il y aurait un minimum de contrôle des changes sur des fonds « garantis »
c) en or, si on aime les contes de fées (le problème de quoi faire de tout cet or n'étant pas résolu magiquement).

Il est bien évident que la garantie des dépôts ne signifie pas le remboursement immédiat de la totalité des fonds garantis. Cela signifie que l’Etat garantissant ces dépôts à long terme (au-dessous d’un plafond donné), le Fonds de garantie n’a besoin de couvrir que les demandes d’argent effectives (si par exemple quelqu'un veut acheter comptant une voiture). Je ne sais pas si la somme de 2 milliards d’euros serait suffisante pour faire face aux besoins provoqués par une crise généralisée, mais il est probable qu’elle suffirait  lors de la faillite d’une seule banque…

Conclusion
Pas de panique !
A bas le capitalisme financier !
Vive l’intervention de l’Etat !



Création : 2 septembre 2018
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 44. A propos de la garantie des dépôts bancaires
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