mercredi 30 janvier 2019

54. Salazar, rhétoricien et révolutionnaire

Quelques remarques sur une interview de Philippe-Joseph Salazar, qu’il ne faut pas confondre avec Antonio !


Classement :




Référence
*« L’Etat impose son langage. Pierre-Joseph Salazar, philosophe », propos recueillis par Emmanuel Lemieux, Marianne, n° 1140, 18 janvier 2019, pages 52-53

Les auteurs
Emmanuel Lemieux est un journaliste indépendant qui intervient de temps à autre dans Marianne.
Philippe-Joseph Salazar, « ancien assistant de Roland Barthes et de Robert Balandier », « occup[e] la chaire de rhétorique à la faculté de droit du Cap et résid[e] en Afrique du Sud », il a été « l’un des observateurs privilégiés de la spectaculaire commission Vérité et réconciliation présidée par Mgr Tutu au lendemain de la fin de l’apartheid. ».

Texte 1 : le « rhétoricien »
« Marianne : Pour se désembourber de la rébellion des « gilets jaunes », le président de la République lance un « grand débat ». Qu’en pensez-vous ? »
PJS : Grand débat… En France, quand on affuble un geste ou un événement de l’épithète « grand », il faut immédiatement y entendre la voix de l’Etat. Seul l’Etat a le droit de qualifier ce qui est « grand » et ce qui ne l’est pas. Les « gilets jaunes » ne sont pas officiellement considérés comme un « grand » mouvement. Pourtant il l’est. Mais sans l’imprimatur de l’Etat qui donne ou refuse le label « grand », ils ne peuvent être que des « petits », des « pauvres », « ces gens-là », le « petit peuple ».
Le débat dit à la française est en réalité un sous-produit du dialogue social qui lui-même est une technique de management et de résolution interne des conflits. C’est une langue technicienne à visée managériale de l’opinion. »

Analyse et commentaire
On peut dire que ce paragraphe, le premier de l’interview, n’est « rien que du vent » (bullshit).
On peut citer plusieurs expressions où l’épithète « grand » n’a rien à voir avec l’Etat, n’est pas ou n’a pas été déterminé par « l’Etat » : « le grand remplacement » ; « la Grande Guerre » ; « le Grand Macabre » ; « Le Grand Bazar » ; « Le grand Duduche » ; « le grand huit ». En revanche, on ne trouve pas tellement de formulations de ce type émanant de « l’Etat » : (à compléter)
Il est évident que si le gouvernement lance un débat à l’échelle de toute la France, il ne paraît pas absurde de le qualifier de « grand », plutôt que de « moyen » ou de « petit » ; on aurait évidemment pu dire « débat national », « débat à l’échelle nationale », ce qui voudrait dire la même chose, en un peu moins percutant (sur le plan rhétorique).
Par ailleurs, en aucun cas la dénomination « grand débat » n’implique ni ne sous-entend que le mouvement des « gilets jaunes » serait « petit ».
Enfin, que signifie la formule : « sans l’imprimatur de l’Etat qui donne ou refuse le label « grand » » ? A quoi Salazar fait-il allusion concrètement ? En fait, ça ne signifie strictement rien !

Remarques complémentaires
*« Les « gilets jaunes » ne sont pas officiellement considérés comme un « grand » mouvement. Pourtant il l’est. »  : ne vaudrait-il pas mieux dire « Pourtant ils le sont. » ? (= les gilets jaunes sont un grand mouvement)
*« Le débat dit à la française est en réalité un sous-produit du dialogue social qui lui-même est une technique de management et de résolution interne des conflits. C’est une langue technicienne à visée managériale de l’opinion. » : Pourquoi « dit à la française » (personne ne parle de « débat à la française ») ? Par ailleurs, M. Salazar semble bien méprisant envers le dialogue social, qu'il amalgame arbitrairement avec une technique de management (le dialogue social n'est pas toujours instrumentalisé par le management). Enfin, que signifie l'idée selon laquelle un débat (ou un dialogue) est « une langue technicienne » ? 

Conclusion
Le discours de Pierre-Joseph Salazar me semble donc sonner bien creux et mériter sans réserve la qualification de « rhétorique (boursouflée) ».
Qu’en est-il de ses énoncés sur un sujet historique qu’il évoque ensuite : la Révolution française ?

A suivre
*La Révolution française selon P.-J. Salazar (page publiée dans le blog Questions d'histoire)



Création : 30 janvier 2019
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Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 54. Salazar, rhétoricien et révolutionnaire
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mardi 29 janvier 2019

53. Le singe sage et sa monnaie

Quelques remarques sur une théorie erronée de ce qu’est la « monnaie de singe »


Classement : économie ; monnaie ; dette de l'Etat




Référence
*Gérard Mathieu, « Une priorité nationale », Marianne, n° 1141, 25 janvier 2019, page 63
Il s’agit d’un courrier de lecteur (le titre est de la rédaction) consacré à la crise des Gilets jaunes.

Texte
« Les "gilets jaunes" ont […] fait reculer le pouvoir et obtenu 12 milliards d’euros de concessions, mais ils restent malgré tout insatisfaits. En obtiendraient-ils trois fois plus qu’ils le seraient tout autant. De toute façon, c’est de la "monnaie de singe", financée par l’augmentation de la dette, dette qui s’accroît de quelque 80 milliards d’euros annuellement, dus pour 40 % au déficit de la balance commerciale et pour 50 % aux intérêts versés aux créanciers de la France. »

Analyse et commentaire
Je m’intéresserai ici aux énoncés économiques de ce lecteur.
L’idée que les sommes allouées à résoudre la crise sont « de la monnaie de singe » veut donner l’impression qu’on a affaire à un vieux sage « à qui on ne la fait pas », elle est pourtant inexacte : les 12 milliards en question ne sont pas plus de la monnaie de singe que les N milliards auxquels se montaient auparavant les dépenses de l’Etat. Il est possible que cette dépense inopinée et contrainte ait un effet défavorable pour le système monétaire, mais cet effet défavorable concernerait l’ensemble du système, pas seulement cette dépense précise (dans le calcul de « l’effet défavorable », il faut tenir compte des dépenses encore plus contraintes qu’auraient provoquées la retenue de ces 12 milliards).
Il est donc possible que les 100 euros que telle personne va percevoir ne vaillent pas tout à fait 100 euros d'avant ; mais il n'empêche que pour cette personne, ce versement représente une somme tout à fait tangible, une augmentation intéressante de son revenu Personne du reste n'a émis l'idée que les sommes reversées au titre de la réforme de l'ISF étaient de la « monnaie de singe » ; elles sont pourtant tout autant financées par l'augmentation de la dette !



Création : 29 janvier 2019
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Auteur : Jacques Richard
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Page : 53. Le singe sage et sa monnaie
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dimanche 20 janvier 2019

52. Le haut, le bas et les Antipodes

Quelques remarques sur un article de vulgarisation épistémologique


Classement : épistémologie ; cosmologie


*Jean-Luc Eluard, « Pourquoi les Australiens n’ont pas la tête en bas ? »,Sud-Ouest Mag, 12 janvier 2019, page 43

L'auteur
Jean-Luc Eluard est titulaire d’une maîtrise de Langues étrangères appliquées (LEA) et d’un DUT de journalisme ; il est pigiste (ou : free-lance ?) pour diverses publications, dont Sud-Ouest, ainsi que pour Cap Sciences (Centre de Culture Scientifique, Technique & Industrielle de Bordeaux et Nouvelle-Aquitaine)
Sources : notice Cap Sciences (lien) ; notice du Club de la presse de Bordeaux (lien)
Il n'a donc pas, à la base, de formation scientifique particulière. 


Texte
« Ce problème d’hémisphère Sud la tête en bas est typiquement le genre de questions que l’on se pose étant gamin… et que l’on laisse tomber une fois adulte en se disant « Ben, c’est comme ça ». Trop facile ! L’explication est là : au niveau planétaire, il n’y a ni haut ni bas. Ce n’est que de la pure convention. Dans l’espace, il n’y a ni haut ni bas et il en va de même pour la Terre. Il suffit pour s’en convaincre de considérer les spationautes : en apesanteur, ils dorment ou mangent indifféremment sur le « sol » ou le « plafond » de la station spatiale. La Terre étant suspendue dans l’espace comme tout autre objet de même nature, on peut dire qu’elle n’a ni sol ni plafond. De fait, le nord en haut et le sud en bas, c’est une invention purement formelle. »

Commentaire
Il me semble que l’auteur ne fournit pas une explication très convaincante du problème posé au départ : « Pourquoi les Australiens n’ont pas la tête en bas ? ».
La question se pose en fait par rapport à un schéma de la terre sous la forme d’un cercle sur une feuille de papier orientée conventionnellement (marge à gauche par exemple) : un individu A représenté sur ce cercle au niveau du 45° parallèle Nord (en France) et un individu B représenté au niveau du 45° parallèle Sud (en Nouvelle-Zélande) sont manifestement « symétriques » (ils ont la tête dans des directions opposées).
Une interprétation sommaire (puérile si on veut) conduit à dire que B a la « tête vers le bas et les pieds vers le haut ». Cela n'est exact que par rapport à la convention selon laquelle la feuille de papier a un « sens » et que le « haut » est là où j’ai placé A. Il est évident que si je retourne la feuille de 180°, c’est A qui a maintenant « la tête en bas ».
Jean-Luc Eluard affirme que c’est parce que la notion de « haut » et de « bas » n’ont pas de sens dans l’espace, notamment dans les situations d’apesanteur. Cette idée est tout à fait correcte, mais elle ne suffit pas à rendre correctement compte de la situation de A et de B sur la Terre.
Cette situation est déterminée localement par le fait que, sur la Terre, il n’y a pas d’apesanteur, que s’y exerce la « force gravitationnelle » (le fait qu’un corps tombe vers le centre de la Terre (donc, en pratique, vers le sol) avec une accélération donnée*). On peut donc dire que sur la Terre (et sur tout corps suffisamment massif pour exercer une attraction gravitationnelle) le « bas » indique la direction de la chute et le « haut » la direction inverse.
Selon cette définition, l’individu A (en France) a les pieds vers le bas (vers le centre de la Terre, donc sur le sol), mais c’est aussi le cas de l’individu B (en Nouvelle-Zélande).

Note
*L'accélération d'un corps tombant vers le centre de la Terre est, dans les conditions idéales, notamment en l'absence d'atmosphère, de presque 9,81 mètres par seconde par seconde (9,806 65 m/s²) : la vitesse d'un corps libéré sans vitesse est, au bout d'une seconde de chute, de 9,81 mètres par seconde, au bout de deux secondes, elle est de 19,62 mètres par seconde, etc.), ceci étant valable aussi bien pour une plume (dans le vide bien sûr) que pour un kilo de plomb ou une tonne de bananes...



Création : 20 janvier 2019
Mise à jour : 24 janvier 2019
Révision :
Auteur : Jacques Richard
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