mercredi 5 décembre 2018

51. Liste de ceux qui croivent qu'on paye moins d'impôts en faisant des dons

Quelques remarques sur une croyance fiscale erronée mais bien enracinée : liste (non exhaustive) des « croyants »


Classement : fiscalité




Ceci est la suite de la page Pour ceux qui croivent qu'on diminue ses impôts en faisant des dons, dans laquelle je démontre qu’en vrai, on ne diminue pas ses impôts en faisant des dons aux associations (reconnues d’utilité publique).
Pourtant, il est assez courant de trouver dans la presse française des énoncés disant ou sous-entendant le contraire (dans un but de dénonciation), notamment par l’utilisation de la métaphore des « niches fiscales ».

Sommaire
*Renaud Chartoire
*Luce Lapin
*Jacques Littauer
*L'Express
*Le Monde Diplomatique
*Marianne

RENAUD CHARTOIRE
Référence
*Renaud Chartoire, « Qui profite des niches fiscales ? », Sciences humaines, mars 2014, page 24 (cet article fait partie d’un dossier sur la fiscalité)
L’auteur
Chartoire, né en 1970, est professeur agrégé de SES et auteur de plusieurs ouvrages et articles.
Texte
On trouve dans son article de Sciences humaines l’énoncé suivant :
« Les principales [niches fiscales], soit en termes de nombre de bénéficiaires soit en fonction des montants engagés, concernent le quotient familial (si on l’intègre dans la liste des niches), les dons aux associations et œuvres caritatives, les déductions pour l’emploi à domicile. ».
Commentaire
Comme on le voit, Chartoire voit ceux qui font des dons comme « bénéficiaires » d’une « niche fiscale » ; du reste, l'article met en évidence qu'il y en a qui « profitent » de la naïveté de l'Etat (et le profit, c'est mal, sauf celui qui est distribué aux actionnaires).
Réaction
Sollicité par courrier électronique, Chartoire m’a répondu, mais sans démordre de sa position, ni discuter mes arguments : grâce aux dons que l’on fait, on diminue son impôt sur le revenu, donc c’est une niche fiscale. Il ne cherche pas à savoir en quoi consiste au juste le « bénéfice » dont « bénéficierait » le généreux donateur !

LUCE LAPIN
Référence
*Luce Lapin, « Niquez les impôts ! », Charlie Hebdo, n° 1425, page 13
L'auteur
Luce Lapin tient à Charlie Hebdo une chronique de protection des animaux (chronique dont la plupart des gens qui « n'aiment pas » Charlie Hebdo à cause des provocations de ses unes ignorent l'existence ; en effet ils n'ont jamais ouvert un seul numéro de Charlie Hebdo !)
Texte
Outre le titre, on trouve au début de la chronique l'énoncé suivant : « C'est le moment de faire des dons ! Jusque fin décembre, chacun sera déduit à hauteur de 66 % de ses impôts 2019. »
Commentaire
Elle énonce correctement de quoi il retourne : une déduction partielle du don effectué. En revanche, le titre de la chronique est indûment mystificateur, surtout dans sa formulation légèrement vulgaire.

JACQUES LITTAUER
Référence
*Jacques Littauer, « "Gilets jaunes" L'évasion fiscale du pauvre », Charlie Hebdo, n° 1375, page 5
L’auteur
Un site (Michel Perdrial Journal, lien) indique que « Jacques Littauer, l’économiste qui a pris la suite de Bernard Maris, explique que non seulement il publie sous pseudonyme mais que personne, pas même ses parents, ne sait qu’il écrit dans Charlie Hebdo. »
Bon, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour se vautrer dans les lieux communs.
Texte
« Les classes favorisées bénéficient de multiples occasions de diminuer leur impôt sur le revenu : dons aux associations, emplois à domicile, dons de leur vivant aux enfants... ».
Commentaire
Notons que dans le cas des dons aux enfants, on ne diminue pas son IRPP, mais les droits de succession que les enfants en question auront à payer en tant qu’héritiers.
Réaction
Un courrier adressé par le biais de la rédaction de Charlie Hebdo reste à ce jour sans réponse.

L’EXPRESS
Référence
*L’Express, 2 novembre 2016, page 116, « N’oubliez pas les dons » (encart dans un article sur la défiscalisation)
Texte
« Voici un bon moyen d’échapper au fisc tout en ménageant sa bonne conscience ! [… le don] ouvre droit à une réduction d’impôt équivalant à 66 % des sommes versées […] ».
Commentaire
Le rédacteur énonce assez clairement qu’on subit une dépense effective de 1/3 du don, mais qu’à cela ne tienne : on « échappe au fisc », et ça, ça n’a pas de prix ! Même pour un homo economicus rationalis. Qui a, du reste, une « conscience ». Incroyable !
Réaction
Deux courriers adressés à cet organe de presse restent à ce jour sans réponse.

LE MONDE DIPLOMATIQUE
Texte
Dans cet organe de presse, on trouve fréquemment, sur le sujet des dons aux associations, la formule « dons défiscalisés ».
Analyse
Cette formule contient une absurdité spécifique : l’idée selon laquelle les sommes versées aux associations viendraient en déduction du revenu imposable (de sorte que plus on serait riche, plus ça rapporterait). En réalité, les dons ne sont pas défiscalisés (contrairement aux heures supplémentaires, qui ne sont pas intégrées dans la base imposable) : on est seulement remboursé des deux tiers de la somme versée, qu’on soit très riche ou pas très riche. Cette ineptie vient sans doute de ce que les rédacteurs veulent « faire savant » ; mais ils arrivent seulement à « faire pédant ».
La critique des « dons défiscalisés » n’empêche pas Le Monde diplomatique de solliciter de temps à autre le soutien financier de ses lecteurs, en indiquant clairement que leurs dons feront l’objet d’une ristourne fiscale.
Réaction
Un courrier adressé à cet organe de presse reste à ce jour sans réponse.

MARIANNE
Référence
*Etienne Girard et Emmanuel Lévy, « La machine à arroser les copains », Marianne n° 1184, 22 novembre 2019, pages 10 et suivantes, notamment page 12, encart « L’astuce fiscale au cœur du dispositif »
Texte
« Le statut de fondation d’utilité publique est très avantageux. Tous les dons qui lui sont adressés sont défiscalisables – à 66 % pour les particuliers, à 60 % pour les entreprises. En pratique, si Engie donne 10 000 euros à la Face, la société peut déduire 6 000 euros de son impôt sur les sociétés, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires annuel. Un cadeau fiscal attractif… »
Commentaire
Bien qu'ils exposent correctement le processus (don de 10, réduction d'impôt de 6), les rédacteurs nagent dans la confusion. 
Noter un point de détail révélateur de ce confusionnisme : « la société peut déduire 6 000 euros de son impôt sur les sociétés… » : non, l'entreprise se contente de déclarer le don, ce sont les services fiscaux qui effectuent la déduction !
En ce qui concerne un don d’entreprise, il peut tout de même y avoir un intérêt communicationnel : prétendre avoir donné 10 000 (ou 1 000 000) et n’avoir dépensé que 4 000 (ou 400 000), le reste étant payé par l’État dont le rôle est habilement occulté. 
L'idée que le statut d’utilité publique est avantageux est exacte ; seulement, l'avantage n'est pas pour les donateurs, mais pour la fondation elle-même.
En ce qui concerne l'organisme précis critiqué dans le dossier de Marianne, la Fondation Agir contre l'exclusion (FACE), le problème n'est pas son financement, qui est le même que celui de nombreuses autres organismes déclarés d'utilité publique, mais son respect ou son non-respect des missions qui lui ont permis d'obtenir ce statut. Si ces missions ne sont pas respectées (si, par exemple, des salaires mirobolants sont versés aux responsables), il y a détournement de fonds (privés et publics), comme ce fut le cas de l'ARC il y a quelques années. Rien à voir avec une quelconque « niche fiscale » ou « astuce fiscale » !
Réactions
Un courrier a été adressé à cet organe de presse le 23 novembre 2019, sans réponse à ce jour.
Dans le numéro 1187 de Marianne est publiée une réponse de Martin Hirsch (président de la Fondation Agir contre l'exclusion), qui présente très correctement la question des dons et des réductions fiscales ; sur les autres points (salaires, etc.), il récuse les assertions des auteurs de l'article. Cette réponse (sans doute un droit de réponse) n'est suivie d'aucune critique.

Conclusion
Malgré mes efforts, je n’ai jamais réussi à obtenir d’un correspondant soit la démonstration que mon raisonnement est faux, soit la reconnaissance qu’il est correct. 
S'agirait-il d'un « tabou » ?



Création : 5 décembre 2018
Mise à jour : 16 décembre 2019 (Marianne, novembre 2019)
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 51. Ceux qui croivent qu'on diminue ses impôts en faisant des dons
Lien : https://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2018/12/ceux-qui-croivent-quon-diminue-ses.html








mardi 4 décembre 2018

50. Pour ceux qui croivent qu'on paye moins d'impôts en faisant des dons

Quelques remarques sur une croyance fiscale erronée mais bien enracinée


Classement : économie ; fiscalité ; niches fiscales




Beaucoup de gens et, parmi eux, nombre de journalistes, voire de spécialistes de l’économie, sont persuadés qu’en faisant un don à une association (reconnue d’utilité publique), on diminue son impôt sur le revenu. Ils désignent donc les dons aux associations comme une « niche fiscale ».

Cette page a pour but de démontrer que ces idées sont infondées.

Le processus fiscal concernant les dons aux associations
Le processus des dons se déroule comme suit : une année donnée, vous faites à une association un don de (mettons) 120 euros ; l’année suivante, vous indiquez ce don dans la déclaration d’impôt et lors du calcul de l’impôt dû, vous bénéficiez d’une diminution égale à 66 % du don soit, dans l’exemple choisi, 80 euros. Si l’impôt que vous devriez payer est de, mettons, 1000 euros, vous n’en paierez que 920.
Effectivement « vous avez payé moins d’impôt » que ce que vous auriez payé en l’absence de don.

Analyse
Il devrait pourtant sauter aux yeux que vous n’avez pas fait une bonne affaire. En effet, vous avez reçu 80 euros de l’Etat, mais vous avez payé 120 euros à l’association. Objectivement, vous avez « perdu » (en tout cas, dépensé) 40 euros.
Ce phénomène peut être présenté de façon mathématique par une équation dans laquelle j’appelle I le montant de l’impôt dû et D le montant du don :

D + (I - [(D/3)x2)]) = I + D/3
(don + impôt dû diminué de 2/3 du don = impôt dû + 1/3 du don)

Considérant la seconde partie de l’équation, on pourrait dire que, sur le plan comptable, tout se passe comme si vous aviez payé le montant de l’impôt dû à l'Etat et versé un tiers du don à l’association.
Ce n’est pas seulement une apparence : c’est la réalité la plus stricte. Dans la première partie de l’équation, on voit que l’association reçoit un don « complet », alors que dans la seconde, elle ne reçoit qu’un tiers de ce don. Pour qu’elle obtienne le don complet, il faut et il suffit que l’Etat, ayant reçu le montant de votre impôt, s’en serve pour verser deux tiers du don à l’association (c’est en fait ce à quoi il s’est engagé par la loi sur les dons aux associations ; et même, dans certains cas, suite à la « loi Coluche », il verse ¾ du don).
Dans la pratique, lorsque vous versez le montant du don, vous versez à la fois votre part (un tiers) et celle de l’Etat (deux tiers) ; l’année suivante, l’Etat vous rembourse la somme que vous avez versée à sa place.
C’est ce décalage temporel qui occulte le processus réel au profit d’une construction illusoire.

La question des niches fiscales
Il n’y a ici aucune « niche fiscale » ; simplement, à votre don réel (40 euros), l’Etat ajoute une subvention d’un montant double (80 euros).
D’une façon plus générale, ce que beaucoup de gens se délectent à appeler « niches fiscales » consiste simplement en subventions de l’Etat versées par le biais de réductions d’impôt. 
Lorsqu’il s’agit de subventionner, par exemple, un changement de chaudière, la subvention est versée au contribuable, qui y gagne évidemment quelque chose (il paie sa chaudière moins cher) ; dans le cas d’un don à une association, la subvention est versée à l’association, le contribuable n’y gagne rien.
L’emploi du terme « niche fiscale », terme en général assez stupide (il n'explique rien et masque la réalité de ce qui se passe), est donc totalement absurde dans le cas des dons aux associations.

Dans une page à suivre, je donne des exemples prouvant que ces croyances sont courantes dans la presse française.

A suivre



Création : 4 décembre 2018
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 50. Pour ceux qui croivent qu'on diminue ses impôts en faisant des dons
Lien : https://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2018/12/pour-ceux-qui-croivent-quon-diminue-ses.html