jeudi 16 février 2017

11 Les profs sont partout en 2017



Classement : tics médiatiques


Le monde médiatique manifeste à l'encontre des professeurs de l'enseignement secondaire, un mépris condescendant, dont le marqueur le plus important est l'utilisation systématique de l'apocope « prof ». 
J'en ai donné un premier exemple sur la page Graves incivilités à Bordeaux (journal Sud-Ouest du 7 octobre 2016), puis d'autres sur la page Déchaînement anti-profs qui concerne la fin de l'année 2016. 
En voici quelques autres, relevés en 2017 : 

*Télérama, 7 janvier 2017, page 15, Courrier des lecteurs
Inconscience ou provocation ? 


*Marianne, 10 février 2017, page 61, article de Perrine Cherchève et Marie Huret, « Elise et les "Cash Boys" »
On est ravi d'apprendre la prof-ession du papa d'Elise Lucet.

*Télérama, 1° mars 2017, page 20, article de Marion Rousset sur l'enseignement de la grammaire 
Chochottes ! Tandis que les journalistes, rien ne leur fout les boules...
Noter le lieu commun : alors que se creusent les inégalités scolaires.

*Marianne, 10 mars 2017, page 31, article d'Etienne Girard, « Grosse déprime chez les élus », encart : 
Même les profs, y s'y mettent, comme k'y dirait !

*L'Express, 22 mars 2017, à propos d'une professeure sourde

Le rédac ou la rédac de cet article en profitera pour prendre quelques cours de français...

*Charlie Hebdo, 10 mai 2017, page 7, entrefilet de Jacques Littauer
Jacquot, arrête tes chars !

*Libération, 26 juin 2017, page 13
Mais non...
Car il est professeur de gymnastique, tique, tique !
Note
Soit dit en passant, le « prof » en question, ce n'est pas de la petite bière. C'est de la « société civile » très haut de gamme, Villani, genre... Et le chapeau de Libération, c'est plus de la désinformation qu'autre chose.

*Libération, 30 juin 2017, pages 14-15-16, article « Le coming out pour tous »




Pourquoi Lisa, elle serait pas « pubeuse » ? 
Et pourquoi y'zont pas réussi à trouver le moindre « prolo » 
homo ?

*Le Canard enchaîné, 18 octobre 2017, article de C. B., « REP, réseau d'éducation (très) perfectible » 
Ce qui est à la fois comique et pathétique dans Le Canard enchaîné, c'est la propension à reprendre les rapports (PISA, Cour des cons) sans la moindre réserve, sans la moindre recherche sur les tenants et aboutissants des problèmes évoqués.
Ce qui plaît au Canard, c'est que ce soit « critique », que ça « dénonce »  (dans ce cas, l'article est dirigé contre « les socialistes ») ; il est bien évident qu'un « prof expérimenté » qui occupe, vu son ancienneté, un poste dans un établissement normal, après avoir passé quelques années en REP et réussi à y échapper, ne va pas demander une mutation pour y revenir, même pour gagner 50 ou 100 euros de plus par mois. « Les socialistes » n'ont rien à voir là-dedans. 
Quant à la Cour des cons (dite, pour ne pas vexer, des comptes), où de jeunes cons sortis pas frais de l'ENA touchent trois fois le traitement d'un professeur agrégé, elle ne fait jamais de rapport sur sa propre inutilité.
En arrière-plan, il y a l'idée qu'il faut la « mettre au pas », cette engeance qu'un journaliste ne saurait s'abaisser à appeler « professeurs ».
En bref : le journaliste du Conard enchaîné est aussi sot que le reste de la profession.

*Libération, 27 novembre 2017, dossier sur les élèves pauvres

Il faut leur en apprendre aux pov' prof' !
Et surtout, la pauvreté, il ne faut pas la combattre : ce serait du repli sur soi, voire du bolchevisme, il faut changer son regard ! 
Le pauvre dispose de richesses spirituelles qu'il ne faut pas négliger et il est plus difficile .à un riche ... 
Dis, Libé, c'était comment le Moyen Âge ?



Création : 16 février 2017
Mise à jour : 29 novembre 2017
Révision : 2 septembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 6 Déchaînement anti-profs
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2016/10/dechainement-anti-profs.html








10 Jacques Julliard, linguiste indigne d'être loué

Quelques remarques sur une assertion linguistique de Jacques Julliard


Classement : Jacques Julliard, école, linguistique




Référence
*Jacques Julliard, « C’est Peillon qui a raison ! », Marianne,  n° 788 (26 mai 2012)

Présentation
Il s’agit d’un éditorial consacré à la semaine de quatre jours à l’école. Sans me prononcer sur le fond, je noterai que Jacques Julliard fait abondamment usage de lieux communs usuels assortis de métaphores plus ou moins valides (« Jivaros réducteurs de la semaine scolaire », « grand jamboree des faux-culs », « Dr Diafoirus de la pédagogie ») ; de surcroît, il utilise l’atroce apocope « prof » (voir ci-dessous), ce qui est douteux dans un contexte de recherche de l’excellence scolaire !
Mais le plus gênant est son incursion dans le domaine de la linguistique. 

Texte
Il nous dit en effet que : 
« Le français utilise le même mot, « apprendre », pour désigner à la fois l’acte de l’enseignant et l’acte de  l’enseigné, là où les Anglais en possèdent deux – to teach et to learn – et les Allemands aussi – lehren et lernen. Cette confusion est un aveu. L’aveu que les Français ont toujours considéré l’acte éducatif à sens unique, du côté de l’enseignement du prof, jamais du côté de l’apprentissage de l’élève. Pourtant, le bon sens populaire a bien compris que l’apprentissage est une démarche active : "Cette petite apprend bien" »

Commentaires
Cette proposition est critiquable sur deux points : 
1) Il est tout à fait inexact que, d’une façon générale, la similitude des signifiants corresponde à une confusion des signifiés. Un exemple est celui du verbe « louer » (du latin locare) : bien que l’énoncé brut (hors contexte) « louer un appartement », soit ambigu, personne ne confond la position du locataire et celle du bailleur. Et dans la pratique, lorsqu’on parle et qu’on fait des phrases, l’ambiguïté s’atténue, voire disparaît. La phrase « j’ai l’intention de louer un appartement » connote la position de locataire, alors qu’un bailleur dira « j’ai l’intention de louer mon appartement ».
2) En ce qui concerne le verbe « apprendre », l’ambiguïté est encore moins forte : l’énoncé « apprendre l’allemand » connote l’apprenti et non pas le maître (qui « enseigne l’allemand »), ainsi que « apprendre une leçon », mais aussi en construction absolue (l’exemple de Julliard) « j’apprends (tu, il, etc.) », « je suis en train d’apprendre ».
Pour que « apprendre » connote la position du maître, il faut dire : « je vais essayer de lui apprendre un peu d’allemand », « je vais lui apprendre à vivre », « je vais lui apprendre qui est le patron ».
Il semble que les énoncés « verbe seul » et « verbe + complément direct » connotent l’élève tandis que le maître est connoté par un énoncé « verbe + complément indirect (celui-ci connotant justement l’élève) ». 
A proprement parler, aucun énoncé avec « apprendre » n’est réellement ambigu. 

Conclusion
Dans ces conditions, la phrase « les Français ont toujours considéré l’acte éducatif à sens unique, du côté de l’enseignement du prof, jamais du côté de l’apprentissage de l’élève » est infondée; d’ailleurs, quelques mots plus bas, Julliard écrit : « le bon sens populaire a bien compris que l’apprentissage est une démarche active ». On se demande quelles populations peuvent bien être le vecteur du « bon sens populaire » qu’ignorent, avec leur arrogance habituelle, « les Français ».
Quant à la validité historique de cette phrase, j’ai l’impression qu’elle n’est pas bien grande, que tout effort de réflexion pédagogique (depuis Montaigne, les Jésuites, Port-Royal ?) a été fondé sur le souci de mettre en œuvre l’activité d’apprentissage de l’élève (même si ce n’est que récemment que cette activité a été explicitement dévolue à un « sujet apprenant », dit « l'apprenant »).



Création : 29 mai 2012 dans Blogoliot (http://blogoliot.over-blog.com/article-jacques-julliard-un-editorial-qui-n-est-pas-a-louer-106031301.html)
Transfert : 16 février 2017
Mise à jour : 29 septembre 2017
Révision : 2 septembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 10 Jacques Julliard, linguiste indigne d'être loué
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/02/jacques-julliard-linguiste-indigne.html








samedi 11 février 2017

9 Sur deux passages de l'œuvre de Céline



Classement : antisémitisme ; Céline


Comme annoncé sur la page Patrice Gueniffey, célinien relativiste ?, je publie ici la version mise à jour d’une page parue antérieurement dans un autre blog.
Il s’agit de l’analyse comparative de deux passages de l’œuvre de Céline.

Références
*Céline, Voyage au bout de la nuit, chapitre 1 (p. 13-14 de l'édition du Livre de Poche, 1965)
*Céline, Bagatelles pour un massacre, cité dans Hanns-Erich Kaminski, Céline en chemise brune, Editions Mille et Une Nuits, 1997, p. 37

Voyage au bout de la nuit
Au tout début du livre, on trouve une curieuse notation à propos de la France et des Français.
Bardamu rencontre un autre étudiant en médecine, Arthur Ganate ; ils s’assoient dans un café et discutent.
« Après, la conversation est revenue sur le Président Poincaré qui s'en allait inaugurer, justement ce matin-là, une exposition de petits chiens ; et puis, de fil en aiguille, sur le Temps où c'était écrit. "Tiens, voilà un maître journal, le Temps !" qu'il me taquine Arthur Ganate, à ce propos. "Y en a pas deux comme lui pour défendre la race française ! - Elle en a bien besoin la race française, vu qu'elle n'existe pas !" que j'ai répondu moi pour montrer que j'étais documenté, et du tac au tac.- Si donc ! qu'il y en a une ! Et une belle de race ! qu'il insistait lui, et même que c'est la plus belle race du monde, et bien cocu qui s'en dédit ! et puis, le voilà parti à m'engueuler. J'ai tenu ferme bien entendu.
-C'est pas vrai ! La race, ce que t'appelles comme ça, c'est seulement ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer. C'est ça la France et puis c'est ça les Français.
- Bardamu, qu'il me fait alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n'en dis pas de mal !... »
Céline place dans la bouche de Bardamu une espèce de lieu commun historique (« ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause de la mer ») ; je ne sais pas si Céline est l’inventeur de ce lieu commun absurde, ni s’il y croyait, peu importe du reste. L’important est dans sa description des Français : « ce grand ramassis de miteux dans mon genre, chassieux, puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des quatre coins du monde ».
Cette description vise à contrer les arguments (en grande partie ou totalement provocateurs) de Ganate : le journal Le Temps est un défenseur de la « race française » qui est « une belle race ». Pour Bardamu, en revanche, il n’y a pas de « race française » mais un « ramassis de miteux ».

Bagatelles pour un massacre
Cette phrase peut être rapprochée de plusieurs passages de Bagatelles pour un massacre (cités par Kaminski), où Céline exprime son mépris de la France et des Français en contrepoint de sa haine des Juifs, par exemple (p. 37):
« Je voudrais qu'il soit proclamé, pour que le peuple sans vertèbres, dit français, retrouve un peu son amour-propre absolument conclu, certain, trompeté universellement, qu'un seul ongle de pied pourri de n'importe quel vinasseux ahuri truand d'Aryen, vautré dans son dégueulage , vaut encore cent mille fois plus, et cent mille fois davantage et de n'importe quelle façon, à n'importe quel moment, que cent vingt-cinq mille Einsteins, debout, tout dérétinisants d'effarante gloire rayonnante. »
Au premier abord, on comprend parfaitement ce que Céline veut exprimer : sa haine (viscérale, extrême et insurmontable) des Juifs.
Quand on examine le texte dans le détail, on constate que c’est plutôt surprenant : le Juif (« Einstein ») est présenté, pour ainsi dire reconnu, comme un être supérieur (une espèce d'archange), alors que l' « Aryen » apparaît comme une ordure (« n'importe quel vinasseux ahuri truand d'Aryen, vautré dans son dégueulage »). Sur ces prémisses, le raisonnement célinien jaillit dans toute sa splendeur (Céline se vautre dans une litanie de chiffres, une sorte d'incantation ou un délire) : 125000 « archanges » valent 100000² fois moins que le sous-produit du sous-produit de l'ordure ("sa rognure d'ongle de pied pourri" !) « aryenne ».
Comment Céline peut-il penser que ce raisonnement sera cru, sauf par des imbéciles ; comment peut-il espérer nous faire croire que lui-même y croit ? Il se place en effet dans le domaine de l'arbitraire le plus total. Il prétend en fait parler au nom de Dieu, celui dont la parole est le fondement de la vérité ; celui qu'il faut croire parce que c'est absurde ; Dieu est supérieur à l'archange et le condamne au profit d'un objet de dégoût.

Hypothèses
a) On trouve peut-être dans tout cela l'écho lointain d'une conscience sociale : l'affirmation d'une pitié ou d'une solidarité avec le faible (malade, pauvre, stupide et répugnant) face au fort (riche, bien portant et moralement et spirituellement estimable). Pourquoi identifie-t-il ce personnage « parfait » (et par là même haïssable) au Juif ? Pourquoi accorde-t-il une réalité à ce qui n'est qu'un paradoxe ?
b) Curieusement, le mépris de Bardamu envers les Français (« chassieux, puceux, transis ») s'est retourné en amour pour l’Aryen (« n'importe quel vinasseux ahuri truand »). Mais, Bardamu niait que les Français forment une race, tandis qu’un Aryen ne peut être défini que par sa race (quelque apparence qu'il revête).
c) Cela a peut-être un lien avec l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne (Kaminski montre que Bagatelles est influencé par le nazisme sur d’autres plans que l’antisémitisme), mais il y avait déjà  du « racialisme », de l’ « obsession raciale », quoique sous forme déniée et sans lien avec l’antisémitisme, dès l’époque du Voyage au bout de la nuit.
Ce ne sont que des hypothèses.

Notes
Dans le chapitre VI de Céline en chemise brune (« A l’ombre des tranchées ») dont est tirée la citation précédente, Kaminski en donne plusieurs autres où Céline exprime, notamment, son dégoût de la France « telle qu’elle est » (non régénérée, semble-t-il).

Hanns-Erich Kaminski (1899-1963) est un journaliste allemand, exilé en France après février 1933 ; il publie son livre sur Bagatelles pour un massacre en 1938 ; il part au Portugal après la défaite de 1940, puis en Argentine en 1941.



Création : 19 novembre 2012 dans Blogoliot (http://blogoliot.over-blog.com/article-a-propos-de-deux-passages-de-celine-1932-1938-112610287.html) (page mise à jour le 11 février 2017)
Transfert : 11 février 2017
Mise à jour : 29 septembre 2017
Révision : 29 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 9 Sur deux passages de l'œuvre de Céline
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/02/sur-deux-passages-de-luvre-de-celine.html








vendredi 10 février 2017

8 Patrice Gueniffey, célinien relativiste ?



Classement : Céline ; antisémitisme


Dans l’émission de France V La Grande Librairie du jeudi 9 février 2017, intervenaient, entre autres, Patrice Gueniffey, auteur de Napoléon et De Gaulle, et Annick Duraffour, auteur avec Pierre-André Taguieff de Céline, la race, le Juif
Au cours du débat sur ce livre, Annick Duraffour évoque les liens de Céline avec le SD ; Patrice Gueniffey intervient assez longuement en réponse, de façon visiblement réservée, et sur le point du rapport Céline-SD, affirme : « C’est controversé. » (en gros : « vous avez votre opinion, mais il en existe d’autres ») ; à quoi l’auteur répondra en donnant un certain nombre de faits dûment archivés (déclarations de Helmut Knochen en 1946-1947, par exemple).
Personnellement, je ne supporte pas l’attitude de style relativiste de Gueniffey, tendant à discréditer un autre auteur sans fournir la moindre preuve. La seule question digne qu’il pouvait poser était « Quels éléments nouveaux apportez-vous sur la question ? ». C’est du reste plus ou moins celle que François Busnel a posée à Annick Duraffour, visiblement conscient du caractère insultant de la déclaration de Gueniffey (dont je n’avais pas spécialement l’intention de lire le livre, mais encore moins maintenant).
Par ailleurs, cet épisode me conduit à remettre à jour une page publiée par ailleurs, dans laquelle je cite des passages (dont un tiré du Voyage au bout de la nuit) attestant chez Céline un sens certain du paradoxe intellectuel.

Ajout
(15 mars 2017)
Dans le magazine Lire de mars 2017, page 82, critique apparentée de Jérôme Dupuis (« Le torrent d'informations contenues dans cet ouvrage à la fois riche et contestable, va, c'est inévitable, donner lieu à d'innombrables polémiques avec les céliniens patentés...»).

A suivre
  


Création : 10 février 2017
Mise à jour : 15 mars 2017
Révision : 29 septembre 2017
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 8 Patrice Gueniffey, célinien relativiste ?
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/02/patrice-gueniffey-celinien-relativiste.html