mercredi 6 mai 2020

92. Rhétorique bourdivine dans Télérama

Quelques remarques sur un réflexe pavlovien de la presse « de gauche »


Classement : école ; inégalités sociale ; Bourdieu




Référence
*Juliette Bénabent, « Les élèves fragiles décrochent, leurs profs s’accrochent », Télérama, n° 3668, 29 avril 2020, page 12

L’auteur
Juliette Bénabent est rédactrice à Télérama.

Texte
« Les élèves fragiles décrochent, leurs profs s’accrochent »
« "Les portes de l’école se sont fermées sur une institution qui va mal, avec des enseignants épuisés et certains élèves de plus en plus éloignés de la culture scolaire", rappelle Gabrielle, professeure de français dans un collège d’éducation prioritaire. "L’école est un miroir des inégalités. Cette banalité saute aux yeux aujourd'hui : les élèves favorisés s’approprient l’enseignement à distance, tandis que d’autres disparaissent des radars. On a affaire à deux mondes totalement distincts." »

Analyse et commentaire
Il s’agit pour l’essentiel d’une citation, de paroles prononcées par une professeure, mais cela cadre parfaitement avec ce qu’on pourrait appeler « idéologie bourdivine » caractéristique de Télérama et de nombreux médias « de gauche ».

To work or not to work
Une analyse un peu cynique pourrait conduire à dire que ceux « qui disparaissent des radars » sont, non pas « les élèves fragiles », mais ceux qui n’en foutent pas une à l’école, ceux qui traitent d’autres élèves de « bouffons » parce que ceux-ci se comportent comme des élèves corrects. Il est donc normal qu’ils en fassent encore moins (si c’est possible ; en fait, ils perturbent moins le travail des autres) dans un moment où la surveillance scolaire se relâche, où elle incombe entièrement aux parents. De même qu’il est normal que les élèves qui « travaillent bien » à l’école, continuent de « travailler bien » à la maison, parce qu’ils ne considèrent pas l’école exclusivement comme une privation de liberté.

Des élèves favorisés et des élèves fragiles ?
Ces élèves-ci, « Gabrielle » et Télérama les appellent « favorisés ». « Favorisé » est en fait un synonyme de « qui travaille à l’école » ; mais c'est aussi un terme péjoratif, parce qu’il renvoie à une notion sociologique,  l’origine familiale de l’élève. Il travaille bien, mais c’est parce qu’« il a de la chance : sa mère est prof » (graffiti à la Faculté des Lettres de Nantes en 2019) ; apparemment, durant leur grossesse, les professeures nourrissent leurs fœtus non seulement d’aliments matériels riches, mais aussi de leur immense culture (trop cool). Quid de ceux dont seulement « le père est prof » ?
Remarquer aussi la formule : « les élèves favorisés s’approprient l’enseignement à distance » qui peut aussi vouloir dire qu’ils le confisquent, qu’ils empêchent les « élèves fragiles » d’y accéder. Salauds de fils de profs et de cadres !

Origine sociale et réussite scolaire
Cette conception n’est pas totalement absurde dans le sens où il existe une relation entre « origine sociale » et « réussite scolaire » (pas un « déterminisme »), mais la mise systématique en avant de cette relation par des procédés rhétoriques divers aboutit à l’occultation du fait que la réussite scolaire exige (hic et nunc) un minimum de travail (wooo, l’bouffon !). En présentant les élèves qui ne foutent rien comme « fragiles », Télérama occulte aussi cela, laissant croire que tous les élèves ont une égale « soif de savoir ». Bien sûr, il faut tenir compte de cette relation, mais la profération de lieux communs n’aide pas à la résolution des problèmes. Ainsi « l’école est le miroir des inégalités », formule qui n’a strictement aucun sens, dont « Gabrielle » perçoit d’ailleurs la « banalité », mais qu’elle utilise tout de même.

L'école est-elle un miroir qu'on promène le long du chemin ?
Formulation curieuse pour une « professeure de français » : « L’école est un miroir des inégalités. Cette banalité saute aux yeux aujourd'hui ». Elle ne veut pas dire « la banalité de ma formule saute aux yeux » mais « le fait évoqué par ma formule banale est vérifié aujourd'hui de façon évidente ».
En tout état de cause, je ne comprends pas la métaphore du miroir, appliquée au système scolaire. En fait, ce sont les résultats scolaires qui « reflètent » les inégalités, pas  « l’école » (de même que si je plante un clou de travers, c’est le résultat de l’opération qui « reflète » ma maladresse, pas le marteau !).



Création : 6 mai 2020
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 92. Rhétorique bourdivine dans Télérama
Lien : https://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2020/05/rhetorique-bourdivine-dans-telerama.html







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