Quelques remarques sur une assertion linguistique de Jacques
Julliard
Classement : Jacques Julliard, école, linguistique
Référence
*Jacques Julliard, « C’est Peillon qui a raison ! », Marianne, n° 788 (26 mai 2012)
Présentation
Il s’agit d’un éditorial consacré à la semaine de quatre jours à l’école.
Sans me prononcer sur le fond, je noterai que Jacques Julliard fait abondamment
usage de lieux communs usuels assortis de métaphores plus ou moins valides («
Jivaros réducteurs de la semaine scolaire », « grand jamboree des faux-culs »,
« Dr Diafoirus de la pédagogie ») ; de surcroît, il utilise l’atroce
apocope « prof » (voir ci-dessous), ce qui est douteux dans un contexte de
recherche de l’excellence scolaire !
Mais le plus gênant est son incursion dans le domaine de la
linguistique.
Texte
Il nous dit en effet que :
« Le français utilise le même mot, «
apprendre », pour désigner à la fois l’acte de l’enseignant et l’acte de
l’enseigné, là où les Anglais en possèdent deux – to teach et to learn –
et les Allemands aussi – lehren et lernen.
Cette confusion est un aveu. L’aveu que les Français ont toujours considéré
l’acte éducatif à sens unique, du côté de l’enseignement du prof, jamais du
côté de l’apprentissage de l’élève. Pourtant, le bon sens populaire a bien
compris que l’apprentissage est une démarche active : "Cette petite apprend bien"… »
Commentaires
Cette proposition est critiquable sur deux points :
1) Il est tout à fait inexact que, d’une façon générale, la similitude
des signifiants corresponde à une confusion des signifiés. Un exemple est celui
du verbe « louer » (du latin locare) : bien
que l’énoncé brut (hors contexte) « louer un appartement », soit ambigu,
personne ne confond la position du locataire et celle du bailleur. Et dans la
pratique, lorsqu’on parle et qu’on fait des phrases, l’ambiguïté s’atténue,
voire disparaît. La phrase « j’ai l’intention de louer un appartement » connote
la position de locataire, alors qu’un bailleur dira « j’ai l’intention de louer
mon appartement ».
2) En ce qui concerne le verbe « apprendre », l’ambiguïté est encore
moins forte : l’énoncé « apprendre l’allemand » connote l’apprenti et non pas
le maître (qui « enseigne l’allemand »), ainsi que « apprendre
une leçon », mais aussi en construction absolue (l’exemple de Julliard) «
j’apprends (tu, il, etc.) », « je suis en train d’apprendre ».
Pour que « apprendre » connote la position du maître, il faut
dire : « je vais essayer de lui apprendre un peu d’allemand », « je vais
lui apprendre à vivre », « je vais lui apprendre qui est le patron ».
Il semble que les énoncés « verbe seul » et « verbe + complément
direct » connotent l’élève tandis que le maître est connoté par un énoncé «
verbe + complément indirect (celui-ci connotant justement l’élève) ».
A proprement
parler, aucun énoncé avec « apprendre » n’est réellement ambigu.
Conclusion
Dans ces conditions, la phrase « les Français ont toujours considéré
l’acte éducatif à sens unique, du côté de l’enseignement
du prof, jamais du côté de l’apprentissage de l’élève » est infondée; d’ailleurs,
quelques mots plus bas, Julliard écrit : « le bon sens populaire a bien compris
que l’apprentissage est une démarche active ». On se demande quelles populations peuvent bien être le vecteur du « bon sens populaire » qu’ignorent, avec leur arrogance habituelle, « les
Français ».
Quant à la validité historique de cette phrase, j’ai l’impression
qu’elle n’est pas bien grande, que tout effort de réflexion pédagogique (depuis
Montaigne, les Jésuites, Port-Royal ?) a été fondé sur le souci de mettre en
œuvre l’activité d’apprentissage de l’élève (même si ce n’est que récemment que
cette activité a été explicitement dévolue à un « sujet apprenant », dit « l'apprenant »).
Création : 29 mai
2012 dans Blogoliot (http://blogoliot.over-blog.com/article-jacques-julliard-un-editorial-qui-n-est-pas-a-louer-106031301.html)
Transfert : 16 février
2017
Mise à jour : 29 septembre 2017
Révision : 2 septembre 2020
Auteur : Jacques
Richard
Blog : Les Malheurs
de Sophisme
Page : 10 Jacques
Julliard, linguiste indigne d'être loué
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/02/jacques-julliard-linguiste-indigne.html
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