Classement :
littérature française ; féminisme
Ceci est une suite de la page Sophie
Rabau 2. Le viol de Carmen, dans laquelle je
reproduis le passage de l’article de Rabau concernant Carmen.
Référence
*Sophie
Rabau, « Des blancs qui en disent long », Le Nouveau Magazine
Littéraire, n° 2, février 2018, pages 30-31
Analyse
Je ne me
réfère ci-dessous qu’à ce que l’auteur énonce dans l’article, sans tenir compte
du contenu du livre qu’il a consacré à Carmen (d’autant que je ne l’ai pas lu).
1) Un curieux rapport au texte en général, au texte de Mérimée en particulier
1) Un curieux rapport au texte en général, au texte de Mérimée en particulier
Rabau commence par une citation (« Carmen sera
toujours libre ») dont la référence est très vague (« Carmen, de Prosper Mérimée »). Elle
est effectivement extraite de Carmen :
il s’agit d’une parole prononcée par Carmen elle-même, à la fin du roman (une page avant la fin du récit), et
qui fait donc partie du « passage curieux » sur lequel Rabau affirme
qu’ « elle est tombée » (ailleurs dans l’article, elle écrit que
« Nausicaa tombe sur Ulysse complètement nu » : Que de chutes
chez Mme Rabau ! En l’occurrence, la formule est tout à fait
inappropriée : « tomber sur » signifie « trouver quelque
chose par hasard » ou « rencontrer quelqu'un de façon
imprévue ». Or Carmen est un texte dont l’édition ne pose pas de
problème : donc, elle n’est pas « tombée sur un passage
curieux », elle a simplement réinterprété un passage que toute personne
lisant Carmen a pu lire (depuis 1847). Ou bien, cela signifie-t-il dire
que Rabau n’aurait lu Carmen que
récemment ? On pourrait le penser quand on la voit s’étonner
1) que chez Mérimée, Carmen soit mariée ;
2) que le dispositif littéraire de Mérimée soit un récit
dans le roman, le récit que fait José Navarro à un narrateur à la première
personne (archéologue amateur parcourant l’Espagne, un double de Mérimée). Cela
donne l’impression que Rabau ne connaissait Carmen que par l’opéra de Bizet et
qu’elle n’a pris connaissance que récemment de l’œuvre de Mérimée.
2) La
rhétorique de Rabau
On peut se demander pourquoi elle emploie (à deux reprises)
la formule « Passons » :
« Carmen est mariée chez Mérimée, mais passons »
« chez Mérimée c’est José qui raconte à un autre
homme l’histoire de la libre Carmen, mais passons de nouveau »
On emploie cette expression pour indiquer qu’on trouve
quelque chose bizarre, mais qu’on ne va pas en parler parce qu’il y a des
choses plus importantes à dire. En l’occurrence, il n’y a rien de « bizarre »
dans ces deux points !
Par ailleurs, elle joue le rôle de la
« candide » :
« sans que je parvienne à me l’expliquer et sans que
Mérimée se soucie de justifier ce curieux revirement, Carmen accepte de suivre
José avec une docilité dont elle n’est pas exactement coutumière »
Ceci tout en utilisant un bien peu utile superlatif :
« ce
changement d’humeur de Carmen est sûrement l’un des plus mal motivés de la littérature
mondiale ».
Sûrement… D’autant
plus sûrement que cette phrase ne veut rien dire.
3) Une présentation biaisée des
événements du récit
« elle est amoureuse d’un autre, un
picador nommé Lucas, et envisage de se libérer un peu plus en réglant son
compte à José, devenu encombrant »
En fait, elle a
fait une seule fois cette menace à José, et cela a eu lieu avant la rencontre
de Lucas (qui ne s'appelle pas Escamillo chez Mérimée, mais passons...).
« Carmen se rend dans une maison que
José connaît – drôle de manière d’échapper à un amant jaloux et violent que de
se rendre là où il peut vous trouver »
En fait, ils se
sont quittés à Séville ; José est parti en expédition tandis que Carmen venait
à Cordoue ; elle n’a pas de raison de supposer que José est finalement venu
à Cordoue la chercher ; la remarque de Rabau n’a aucun intérêt. Par ailleurs, jusqu'à ce moment du récit, il n'y a pas eu de violence de José envers Carmen.
4) Une théorie littéraire dépassée
Le passage
consacré à Carmen repose sur une analyse psychologique du personnage de
Carmen : Rabau estime que le « comportement » de Carmen à la fin
du récit (soumission à José) est contradictoire avec son
« caractère » (goût de la liberté, etc.). Je retrouve là les analyses qu'on avait à faire au lycée quand on devait étudier le « caractère » de
tel ou tel personnage des pièces de Molière, Racine ou Corneille. Il me
semble que ce point de vue (qui était justifié sur un plan pédagogique) était
déjà obsolète dans la théorie de la littérature de cette époque.
En fait,
l’analyse du « caractère » d’un personnage suppose que ce
personnage a ou pourrait avoir un référent dans la réalité. Rabau se place
sur ce plan en cherchant quel acte réel a pu provoquer un aussi grand changement dans le « caractère » de Carmen.
5) Une
hypothèse mal étayée
Rabau nous dit
que l’événement explicatif (occulté par Mérimée : « Il est temps de sortir hors du blanc narratif où l’a enfoui
Mérimée ce récit absent qui rend tout tristement cohérent ») est le
viol de Carmen (« Carmen a été
violée ») par José (« dans
Carmen, c’est le violeur qui raconte
l’histoire et [...] il ne va sans doute pas donner cette explication »).
Pour mieux étayer son propos, Rabau utilise la description par Virginie
Despentes d’un viol qu’elle aurait subi pour prouver qu’au cours d’un viol, une
femme est totalement réduite à l’impuissance.
Cela suppose :
a) Que Despentes a réellement été violée (ce que Rabau ne
prend pas la peine d’indiquer) ;
b) Que toute femme violée se comporte comme celle du récit de Despentes (elle pourrait prendre un couteau, mais est incapable de le faire) ;
c) Que l’impuissance au cours du viol se prolonge après le
viol.
Il est évident
que ce récit de Despentes n’a aucune valeur pour prouver quoi que ce
soit en ce qui concerne Carmen.
A suivre
*Le récit de Mérimée
Création : 3 octobre 2018
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 47. Sophie Rabau 3. Le viol de Carmen : analyse
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2018/10/sophie-rabau-3-le-viol-de-carmen-analyse.html
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