A propos
d’une contradiction pratique résultant du système bourdieusien
Classement : critique des systèmes éducatifs
Pierre Bourdieu (1930-2002), ancien élève de l’Ecole
normale supérieure, agrégé de philosophie, professeur au Collège de France, a
eu trois fils :
*Jérôme, docteur en sciences économiques, directeur
d'études de l'EHESS, directeur de recherche à l'INRA (lien)
*Emmanuel, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie, docteur en philosophie, réalisateur de cinéma
*Emmanuel, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie, docteur en philosophie, réalisateur de cinéma
*Laurent, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, docteur
en physique-chimie, professeur à l’Ecole des neurosciences de Paris (2017) (lien)
On est à la limite du caricatural...
On est à la limite du caricatural...
La reproduction
En effet, un des apports les plus connus de Pierre Bourdieu a été au
milieu des années 1960 la « théorie de la reproduction » : le
fait que le destin scolaire ait une relation avec le niveau social, économique
et intellectuel de la famille dont on est issu, de sorte que les groupes
sociaux se perpétuent de génération en génération, malgré les efforts du
système scolaire.
La théorie de Pierre Bourdieu est « prouvée »
grâce à des statistiques, mais on peut aussi prendre des exemples concrets, et
il faut reconnaitre que le destin des enfants de Pierre Bourdieu constitue un
bon exemple de la théorie de leur père. Dans le cas d’Emmanuel, c’est presque
caricatural. Les deux autres ont moins bien « reproduit » la réussite
paternelle, mais globalement, ils n’ont pas démérité.
La dénonciation du système scolaire
Il se trouve que la théorie de Pierre Bourdieu n’est pas
seulement « descriptive » ; elle comporte un aspect polémique,
la dénonciation de l’impuissance du système scolaire à remettre en cause ce
phénomène de reproduction. Cet « aspect dénonciateur » peut être
symbolisé par une phrase comme « L’école ne fait pas ce qu’elle dit, et ne
dit pas ce qu’elle fait », c'est-à-dire : l’école prétend donner à
tous les mêmes chances, mais en fait elle participe au phénomène de la
reproduction. Plus elle s’affirme égalitaire, plus elle ne fait que cautionner
le système de la reproduction (on pourrait du reste se demander ce qu’il
conviendrait de dire si elle s’affirmait expressément inégalitaire, selon des
critères de richesse, par exemple).
Un problème éthique insoluble
A ce stade, apparait un problème sérieux. Si effectivement
le système scolaire est biaisé, si le système scolaire « triche »
(par exemple, selon Bourdieu, parce qu’il exigerait beaucoup de choses qui ne
sont pas énoncées clairement, beaucoup de « savoir dire et de savoir-faire »
qui ne peuvent être acquis que dans la famille ; la connaissance du latin,
par exemple, si on se réfère au début des années 1960), est-il justifiable que
Pierre Bourdieu ait accepté, en toute connaissance de cause, que ses trois fils
bénéficient d’une telle « tricherie » familiale et institutionnelle ?
Dans un autre ouvrage, Pierre Bourdieu a dénoncé ceux qu’il
appelle les « héritiers ». Lui-même, fils d’un employé de la Poste,
n’est certes pas un héritier, mais ses enfants le sont incontestablement (de
même que, fils d’instituteur, je le suis). D’un point de
vue éthique, est-il justifiable que Pierre Bourdieu ait eu le cynisme de laisser
ses enfants profiter de façon aussi évidente de leur situation d’« héritiers » ?
Mais qu’aurait-il pu faire ? Sur un plan éthique, il
serait tout aussi injustifiable de sanctionner des enfants en les empêchant de
faire les études auxquelles ils peuvent
prétendre, non pas à cause de délits commis par leur père, mais au contraire à
cause de ses premières réalisations intellectuelles !
On ne pourrait évidemment pas interdire à un fils de
normalien de faire Normale Sup, Polytechnique, etc. (chez certains journalistes,
cette idée est sous-jacente ; mais ils n’ont pas le courage de l’énoncer,
parce qu’ils seraient considérés comme malades ; ils se contentent donc
d’invectiver abstraitement « les dynasties normaliennes »). La seule
chose qu’on pourrait faire (légalement), ce serait réserver l’accès de ces
grandes écoles aux seuls boursiers… Tout à fait dans l’air du temps. De toute
façon, Normale Sup, c’est tricard… Il faut faire Harvard, Cambridge à la rigueur …
Les conséquences du bourdieusisme
Qu’est-ce que cela montre ? C’est que l’aspect
dénonciateur du bourdieusisme n’est pas soutenable, puisqu’au-delà de
l’invective, de la dénonciation, on ne peut en tirer aucune conséquence
pratique acceptable.
Or dans le monde médiatique actuel (et dans une bonne
partie de la sociologie de l’éducation mainstream, Duru-Bellat, par exemple), qui
peut être défini, en ce qui concerne les problèmes de l’enseignement, comme « post-bourdieusien »,
c’est surtout sous cette forme (dénonciation larvée ou ouverte) que la théorie de Bourdieu est utilisée, par
exemple quand une Radier, de L’Obs,
dénonce les classe de S parce qu’elles seraient squattées par « des
enfants de cadres et de profs », comme si (chose surprenante dans un magazine
aussi haut de gamme que L’Obs) il
était délictueux d’avoir des parents qui ont connu la réussite scolaire.
Cette « dénonciation » a en fait des effets
délétères : comme tout énoncé dont on ne peut tirer aucune conséquences
personnelles (contrairement, par exemple, à la dénonciation de la malbouffe ou
du gaspillage d’énergie), cela a un effet démoralisant (ceux qui réussissent devraient se sentir coupables de leur réussite).
Que pourrait faire le système scolaire ?
La hargne post-bourdieusienne se reporte généralement sur l’école
(particulièrement sur l’école publique, particulièrement sur le corps des
professeurs), définie de façon récurrente (par exemple dans Alternatives économiques) comme « élitiste
et inégalitaire ».
Mais, à moins de prendre des mesures sociales de « discrimination
positive » (par exemple : interdire aux « fils de profs et de
cadres » d’aller en Section S), il n’est pas si évident que les
journalistes le pensent d’arriver à une école non inégalitaire.
Cela fera l’objet d’autres pages.
Remarque sur l’utilisation du concept
d’« héritage » dans le domaine culturel
Bourdieu n’est sans doute pas responsable des âneries
proférées par Radier dans L’Obs.
Radier a ses responsabilités qui sont énormes.
Mais Bourdieu a ses propres responsabilités dans la dérive
de ses théories : par exemple l’emploi inapproprié du mot
« héritier » dans ce domaine (aussi celui de « capital
culturel », notion devenue un lieu commun considéré comme
« vrai » en soi et par soi). Car lorsqu’un enfant hérite de la
fortune (grande ou petite) de ses parents, il n’a aucun effort à fournir, si ce
n’est signer quelques papiers fournis par le notaire. Cela n’a rien à voir avec
la « transmission » d’une culture, qui nécessite toujours un travail
de ceux qui transmettent comme de ceux qui acquièrent, que l’on soit dans une famille riche
ou de haut niveau intellectuel ou non. C’est ce qui permet de comprendre que la
culture d’un enfant puisse être plus grande que celle de ses parents (puisque
son « travail » devient rapidement autonome, notamment quand il sait
lire). Même la transmission familiale du langage ne relève pas de
« l’héritage », mais d’un « travail », celui des parents
dans un premier temps.
Il est évident que ce travail d’acquisition ou de
transmission est plus facilement mis en œuvre dans certaines familles que dans
d’autres.
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 33. Bourdieu, de Pierre à Emmanuel
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2018/01/bourdieu-de-pierre-emmanuel_30.html
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