Quelques points de linguistique appliquée à l'usage
des jeunes générations médiatiques : la prononciation des mots transcrits d’alphabets
cyrilliques par les journaleux français
Classement : alphabet cyrillique ; langues slaves ; médias et langues étrangères
Ceci est
une suite de la page Haro sur les livreurs de pizze, consacrée aux gens qui
disent « scénarii » au lieu de « scénarios ».
Une autre
erreur récurrente est de prononcer des noms transcrits du cyrillique, non pas
selon les conventions du français, mais selon des conventions d’autres langues.
Deux exemples :
Timochenko ou Timotchenko ?
La belle Ioulia,
dont le nom dans la graphie cyrillique ukrainienne s’écrit Тимошенко, était gratifiée, aux temps
lointains où elle faisait parler d’elle, par certains « native French speakers
» de la prononciation /Timotchenko/.
Pour
quelle raison ? Parce qu’ils supposaient que ce « ch » devait être lu comme en
anglais ! Sans doute pour prouver leur bonne connaissance de cette
langue ! Acquise avec beaucoup de peine à Sciences Po !
En
l’occurrence, en anglais, le nom de Ioulia Timochenko est transcrit « Timoshenko »,
marquant clairement qu’on a affaire au son de « chat » ou de « shampooing »
et non pas à celui de « Che Guevara ». C’est-à-dire qu’il suffisait,
pour « avoir bon » et réussir le Grand Oral, de lire le « ch » de « Timochenko
» comme on fait dans 99,9 % des cas en français.
Note
Il semble de bon ton (cf. Wikipédia) d'écrire en français non pas Timochenko, mais Tymochenko ; en effet, la lettre ukrainienne и ne correspond pas à i mais à un son intermédiaire entre i et é. Cependant, la transcription i reste usuelle dans la presse française.
Note
Il semble de bon ton (cf. Wikipédia) d'écrire en français non pas Timochenko, mais Tymochenko ; en effet, la lettre ukrainienne и ne correspond pas à i mais à un son intermédiaire entre i et é. Cependant, la transcription i reste usuelle dans la presse française.
Pédants timotchenkistes
*Claude Askolovich, le 28 novembre 2018, dans l'émission 28', sur Arte (à 20 h 35 environ) : « Monsieur l'Ambassadeur [d'Ukraine], est-ce que Monsieur Poutine ne souhaiterait pas le retour au pouvoir de Madame Timotchenko ? ». Hé, Monsieur Askolovich (de forme), va donc, espèce de banane !!!Pédants loukatchenkistes
*Intervenant, le 27 avril 2020, dans le 7-9 de France Inter, vers 8 h 10 : il prononce Loukatchenko le nom qui s'écrit correctement Loukachenko (en français ; Lukashenko en anglais)
Soljenitsyne ou Solyénitsyne ?
Autre
victime de ce phénomène : Alexandre Soljenitsyne (Александр Солженицын), dont le nom est parfois prononcé /Solyénitsyne/
(par exemple par Yean-Noël Yeanneney, dans son émission sur France Culture il y
a quelques années ; et, récemment (23 mars 2017), dans une conférence
de Stéphane Courtois, pourtant spécialiste de l’histoire du communisme ;
il disait en revanche correctement, pour Iéjov, /Yéjov/ et non pas /Yéyov/).
Ce n’est
pas l’anglais qui est ici responsable (on ne dit pas /Soldjénitsyne/), mais
l’allemand (ainsi que plusieurs langues slaves à graphie latine), où le « j » correspond
au son /y/ (semi-consonne, comme dans « yéyé »).
Eh bien,
non ! Il faut prononcer /Solgénitsyne/, il s'agit d'un « j » parfaitement
français correspondant à la lettre cyrillique « ж », comme dans
« Jitomir »*, « Le docteur Jivago »* (flûte, ce ne sont pas
de très bons exemples), comme dans « Jean », « Jacques », mais aussi
« jaja », « jojo », « jujube », « je le jure », etc. etc. En anglais, on écrit
« Solzhenitsyn », en allemand « Solschenizyn » (ach... cette
transcription est un peu moins ponne).
Notes
*Jitomir : Житомир, ville d'Ukraine
*Jivago : Живаго, en anglais
Zhivago ; noter que ce nom est
prononcé correctement, personne n’a l’idée de dire /Yivago/ (peut-être à cause du film...)
D’accord,
c’est compliqué, « ça manque de lisibilité ». Mais un
ouvrage a été consacré à ce problème (Pierre Maës, La prononciation
des langues européennes, Paris, Centre de Formation Professionnelle des Journalistes,
1993), malheureusement méconnu par ceux à qui il est destiné en premier lieu.
Dont certains, imbus de leur ignorance, font, de nouveau, preuve de pédantisme linguistique…
Compléments
*Alexandre Loukachenko : la crise de 2020 en Biélorussie amène de nombreux présentateurs de journaux radio (sur Radio France) à faire preuve de pédantisme inapproprié. J'ai envoyé plusieurs messages pour signaler que ce problème devrait être traité systématiquement par les rédactions.
Langues utilisant des alphabets latins ou latins modifiés
Pédant djairistes (langue portugaise)
*Pierre Haski, dans sa chronique du 27 avril 2020, consacrée au Brésil : il parle de "Djair Bolsonaro", au lieu de "Jair".Pédants djaneiristes
J'entends fréquemment des journalistes, y compris de France Culture, parler de "Rio de Djaneiro", sans doute parce que les Portugais et les Brésiliens prononcent (correctement, mais de façon elliptique): "Riud'jenèïru" pour le nom de la ville de Rio de Janeiro (du reste, en français aussi, on dit facilement : "Riod'janèro")
Dans les deux cas, le "j" est prononcé comme en anglais (John > "Djon", James > "Djèïms", etc.), alors qu'en portugais, il se prononce comme en français (ainsi que le "ch") !
Pédants tadégistes, voire pogakaristes (langue slovène)
*journalistes sportifs : le nom de Tadej Pogačar, vainqueur du Tour de France 2020, est estropié par plusieurs journalistes, mais ici il s'agit d'ignorance et de stupidité et non de pédantisme.
Alors que pratiquement tout le monde prononce correctement "Tadeï Pogatchar", quelqu'un de France 2 s'obstine (le dernier jour) à prononcer "Tadège" ; et de nouveau, en 2021, la meuf du Véloclub qui l'interviewe, ce jour, 6 juillet 2021, après l'étape de Valence.
Mais le plus bel exemple est celui de, encore lui, Claude Askolovitch, dans la revue de presse de France Inter (lundi 21 septembre 2020, 8 h 50), qui pousse la sottise jusqu'à dire "Pogakar", envers et contre tous, sous prétexte que le nom de Pogačar est parfois typographié "Pogacar", pour simplifier.
Il est pourtant clair que pour une langue qui utilise des caractères latins, il est nécessaire pour un informateur professionnel, bref, un journaliste, de s'interroger sur la prononciation de ces caractères, au cas où elle serait différente de celle du français. A fortiori si le caractère est pourvu d'un signe diacritique.
De ce point de vue, le sieur Astcholovik est manifestement un imbécile, ce que confirme le reste de sa production médiatique !
Tout cela montre qu'il n'existe pas dans le monde médiatique français de problématisation de la question : comment se prononcent les noms étrangers ? Mais il est probable que le monde médiatique français, ou si on préfère, les journaleux français, ne problématise jamais rien, se pose jamais aucun problème, sauf les problèmes totalement oiseux.
Création : 31 mars 2017
Mise à jour : 6 juillet 2021 (Pogačar ; Rio de Janeiro ; problème de la non-problématisation chez les journalistes français)
Révision : 22 septembre 2020
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 17 Sur les pédants linguistiques
Lien : http://lesmalheursdesophisme.blogspot.fr/2017/03/haro-sur-les-pedants-linguistiques.html