Quelques remarques sur une sottise proférée par une sommité intellectuelle de notre temps
Classement : histoire ; France ; mai 1968
Référence
*Daniel Cohen, « L’assurance-chômage est-elle un
parachute anti-crise ? », Les Matins de France Culture, 10 juin 2020 (20ème minute de la réécoute) (lien)
L’auteur
Daniel Cohen, né en 1953, ancien élève de l’ENS (Ulm), est
agrégé de mathématiques, est docteur en Sciences économiques et, entre autres,
professeur à l’ENS (Ulm).
Présentation
L’émission, entretien entre Guillaume Erner et Daniel
Cohen, portait sur la situation
économique actuelle (récession due à la pandémie) ; au bout d'un moment est évoquée la question de ce
qui va arriver aux jeunes qui sur le point d'entrer sur le marché du travail après l'été. Daniel
Cohen propose de « leur donner une année de formation de plus »
et ajoute (citation abrégée par rapport au verbatim) :
Texte
« Je pense à un précédent, en 1968, l’économie s’était effondrée, on a fait quelque chose, on a donné le bac à tout le monde, sans doute parce qu’on a peut-être eu peur que les jurys se fasse enflammer s’ils refusaient quelqu'un. Or mon ami Eric Maurin a fait une étude sur le devenir de ces bacheliers qui n'auraient jamais dû avoir le bac », ils ont très bien réussi, ça leur a été très profitable, etc. etc..
Et Guillaume Erner de conclure : « Peut-être que le bac ne sert à rien ! ».
Texte
« Je pense à un précédent, en 1968, l’économie s’était effondrée, on a fait quelque chose, on a donné le bac à tout le monde, sans doute parce qu’on a peut-être eu peur que les jurys se fasse enflammer s’ils refusaient quelqu'un. Or mon ami Eric Maurin a fait une étude sur le devenir de ces bacheliers qui n'auraient jamais dû avoir le bac », ils ont très bien réussi, ça leur a été très profitable, etc. etc..
Et Guillaume Erner de conclure : « Peut-être que le bac ne sert à rien ! ».
Analyse
et commentaire
[Il s’agit pour l’essentiel d’un message adressé à la
rédaction des Matins de France Culture]
Ces
assertions sont surprenantes de la part d’un économiste professeur à l’ENS, car
il s’agit tout simplement de contre-vérités.
Le
baccalauréat 1968, passé sous forme exclusivement orale, en une journée (fin juin et début juillet, dans mon cas le 1° juillet), a eu un taux de réussite
de 81 %, alors qu’en 1967, on avait eu 60 % et qu’en 1969, on aura 66 % (chiffres relevés sur France Info, lien). Il est donc certain que le baccalauréat
1968 a été donné à une proportion relativement élevée de candidats (pour l'époque,
car à l'heure actuelle, le taux de 80 % est courant) :.un écart (en plus) par rapport à 1967 d'environ 20
points sur 60 (+ 33 %).
Mais peut-on dire pour autant qu’il a « été donné à tout le monde » ? À mon avis non.
Si
le taux de réussite avait été de 99 %, à la rigueur de 95 %, on pourrait le dire.
Mais le taux a été de 81 % ; il y a eu 19 % de recalés, un candidat sur
cinq environ.
Daniel
Cohen reprend en fait un lieu commun, un propos ironique de réunions familiales, une sorte de métaphore (« donné à tout
le monde » pour « donné à plus de monde que d’habitude »), mais
qui ne correspond pas à la réalité statistique.
Quant
à l’assertion suivante, elle est encore plus surprenante : « les
jurys ont eu peur de se faire enflammer s’ils refusaient quelqu'un »
C’est
une pure absurdité, puisque les jurys ont refusé un candidat sur cinq, et que
cela n’a généré aucun problème. Au moment où le bac 68 a eu lieu (fin
juin-début juillet, en ce qui me concerne le lundi 1er juillet), le temps
n’était plus aux barricades. L’idée qu’un élève refusé aurait pu exercer des
voies de fait sur le jury est une projection de la situation qui prévalait en mai dans des
secteurs localisés de la population étudiante et lycéenne. À partir du moment où on acceptait de passer l’épreuve, on
se soumettait au résultat. Probablement que les « gauchistes » ont
considéré cela comme une « trahison », mais la plupart de ces « purs » ont su trouver par la suite le chemin des « accommodements raisonnables avec le capitalisme ».
Conclusion
Être
une sommité intellectuelle n’empêche pas de dire des âneries quand on veut
briller à peu de frais dans le monde médiatique.
Remarque sur l'étude d'Eric Maurin
On trouve trace de cette étude dans certains articles de presse (Le Monde, Libération), qui défendent l'idée que non, le bac 68 n'a pas été bradé. Mais pour le démontrer, ils ne s'appuient pas sur les données statistiques (19 % de recalés), mais sur le fait que les reçus « ont très bien réussi, comme le montre l'étude de... ».
Pour ma part, je trouve que ce genre d'études très orientées idéologiquement (l'idée, en gros : le laxisme, c'est super) est a priori sujet à caution.
Remarque sur l'étude d'Eric Maurin
On trouve trace de cette étude dans certains articles de presse (Le Monde, Libération), qui défendent l'idée que non, le bac 68 n'a pas été bradé. Mais pour le démontrer, ils ne s'appuient pas sur les données statistiques (19 % de recalés), mais sur le fait que les reçus « ont très bien réussi, comme le montre l'étude de... ».
Pour ma part, je trouve que ce genre d'études très orientées idéologiquement (l'idée, en gros : le laxisme, c'est super) est a priori sujet à caution.
Création : 13 juin 2020
Mise à jour :
Révision :
Auteur : Jacques Richard
Blog : Les Malheurs de Sophisme
Page : 95. Les sommités intellectuelles : Daniel Cohen et le baccalauréat 1968
Lien : https://lesmalheursdesophisme.blogspot.com/2020/06/daniel-cohen-et-le-baccalaureat-1968.html